Sneakers Culture est allé à la rencontre de Dan de Ticaret qui ouvert la première boutique hip hop de tout le continent Européen à l’ époque. il revient avec sur cette épopée qui l’amené à croiser de jeunes artistes qui sont devenus les stars d’aujourd’hui. Il nous livre également avec une grande sagesse sa vision de la culture hip hop d’antan.
Bonjour Dan, présente-toi en quelques mots ?
Bonjour, je suis Dan, effectivement de la boutique Ticaret. C’est la rue qui m’a anobli, qui m’a donné cette particule « De » Ticaret. Je suis originaire des Antilles et plus présisement de la Martinique, j’ai aujourd’hui 53 ans. J’ai ouvert la première boutique hip hop de toute l’Europe en 1986. Je suis DJ résident au Reservoir le vendredi soir. J’ai contribué à ma manière à l’emergence de la culture hip hop en France.
Comment t’es-tu imprégné de cette culture ? Comment es-tu venu au hip hop ?
J’ai toujours aimé et baigné dans la culture américaine, et c’est par cet intermédiaire que j’ai découvert la culture hip hop. Mais j’ai eu un vrai déclic à l’occasion de la tournée des New York City Rap, en 1982. Il s’agissait de la première venue en France de Afrika Bambaataa, le Rock Steady Crew, les New York City Breakers, Mister Frezze, le DJ DST notamment. Toutes les disciplines de la culture hip hop étaient représentées : le graff, le rap, la danse… Ce concert fut un électrochoc pour moi, un révélateur. J’avoue avoir été attiré par l’affiche (sponsorisée à l’époque par Europe 1) qui titrait « les meilleurs danseurs de New York ». Moi, comme beaucoup de jeunes à ce moment-là, je dansais la funk qu’on appelait alors le jazz rock. J’étais curieux de voir les meilleurs danseurs de NYC et quand je les ai vus par terre, à faire ce que je considérais comme étant de la gymnastique, franchement j’ai trouvé ça enfantin et un peu bidon. Même la musique avec les boîtes à rythme me paraissait trop simpliste. Au cours de cette même soirée, il y avait également le graffeur Futura 2000 qui faisait une peinture, il posait les couleurs sur sa toile, mais pour moi cela n’avait rien d’accrocheur… Malgré ma déception je suis resté car je sentais que quelque chose allait vite me faire changer d’avis sur l’ambiance de cette soirée. Le danseur Mister Frezze est arrivé, et a fait sa petite marche arrière avec ses gants blancs, qu’on a appelé ensuite le moonwalk, et là tout s’est coordonné : ses pas collaient parfaitement à la musique, qui du coup m’a paru plutôt bonne ; et au même moment Futura 2000 finissait son graff, soulignant les contours en noir… Le lettrage m’est alors apparu, comme une révélation, et j’ai attrapé le virus direct ! J’avais 22 ans et ça ne m’a plus quitté. A cette époque, je faisais aussi du roller et j’ai alors tout laissé tomber pour me consacrer au break dans un premier temps. J’ai progressé rapidement au point, dès 1984, de faire partie de ceux qui avaient le droit de danser dans le cercle aux soirées break du Bataclan animées par DJ Chabin.
Comment vivais-tu cette passion grandissante pour le hip hop ?
Ma passion pour le hip hop est vite devenue dévorante et d’une certaine manière presque négative, c’est à dire qu’avant de connaître le hip hop, comme tout les enfants des années 60/70, je m’adonnais à la funk, au reggae, au jazz rock, à la pop…, mais quand le hip hop est entré dans ma vie, je me suis mis des œillères et ne jurais plus que par ça. Je ne supportais que ça, à tel point que pour être joyeux il me fallait écouter du hip hop. Je n’écoutais plus rien d’autre, ça a été une vraie dérive. Mais après être devenu DJ et musicien, j’ai enfin pu retrouver goût à d’autres influences musicales. Dans les années 80/90, j’ai connu aussi ma période black power, un peu poussé par des films comme Do The Right Thing de Spike Lee. Je me suis rendu compte par la suite de la négativité de mon discours parfois, j’étais très revendicatif, « on était les ennemis de la terre, seuls contre tous ». L’excès est le revers de la médaille de la passion. Il faut parfois savoir prendre un peu de recul, et surtout ne pas oublier d’écouter les autres.
Le premier concert de Public Enemy à Paris en 1989, ça te parle ?
Bien sur que je m’en souviens, Public Enemy c’est un groupe de rap estampillé black power, qui réanime la mentalité Black Panther et qui en fait l’historique. Tout cela arrive à un moment où la planête est assez « afro-centrée », les plus grandes stars noires du moment tournent en Afrique ou proposent des thématiques africaines dans leur travail, comme Eddy Murphy dans Un prince à New York ou Michael Jackson à travers ses clips… Les jeunes à Paris arborent fièrement leur collier Afrique. L’ arrivée en France de Public Enemy est teintée d’une polémique car un des membres du groupe dénonce ce qu’il pense être la suprématie juive, ce qui leur vaut d’être connoté comme un groupe raciste venu jouer au Zenith. Pourtant on se sentait représentés par leur musique qui nous faisait vibrer, le coté politique on le suivait mais on était pas des militants acharnés, on était juste heureux de voir des noirs qui parlaient de nous.
Regrettes-tu l’époque des Mix Tapes des années 90 ?
On peut toujours regretter plein de choses, mais ce que je regrette le plus c’est le contact humain qui était pratiquement « obligatoire » à l’époque. Il n’y avait pas de facebook ou de portable. Aujourd’hui les Mix Tapes continuent d’exister, elles sont sur le net, peu de gens les achètent, et elles sortent sans aucune logique. Il n’existe pratiquement plus d’échanges entre artistes, tout le monde fait son Mix dans son coin, et donc de ce fait il n’y a pas réellement de saine compétition puisqu’elle est n’est devenue que financière. La popularité du hip hop a fini par desservir sa fonction première qui était le partage. Cela a rendu les artistes égoïstes, à mon sens c’est devenu un business au sens stricte du terme.
A quel moment et pourquoi as-tu décidé d’ouvrir un shop hip hop ?
J’étais commerçant dans la fripe, les vêtements anciens des années 50/60, que je ramenais des Etats-Unis et que je revendais beaucoup au cinéma. Je livrais les studios et les costumières, mais entre deux rendez vous, il ne passait souvent pas grand chose. C’est là que l’idée m’est venue d’ouvrir cette boutique de fripe pour que mes clients sachent ou me trouver, ça rentabilisait mon stock aussi. J’ai trouvé un local à Stalingrad, rue Chateau Landon, en face d’un terrain vague sur lequel nous nous retrouvions déjà à l’époque, où Dee Nasty venait faire des Free Jam . Il mettait le son, on breakait, les autres graffaient. Les graffeurs du BBC (Bad Boys Crew) avaient pris leurs quartiers sur ce terrain et quand il pleuvait ils venaient souvent s’abriter à la boutique. Ils m’ont demandé de leur rapporter des ceintures des States. Au début je ne voulais pas mélanger ma passion pour le hip hop avec mon business de fringues, puis j’ai fini par leur dire OK. Ils en voulaient une bonne centaine. J’ai trouvé les ceintures mais comme elles étaient trop chères, je leur ai demandé d’avancer la moitié du prix, et si je ne leur apportais pas d’ici 1 mois et demi, je les remboursais… Ils ont tous accepté ! J’ai finalement pu en rapporter plus que prévu, et je n’étais pas au bout de mes surprises car en moins d’une semaine après mon retour de NY, un Belge est arrivé à la boutique pour m’acheter une ceinture, je suis resté littéralement scotché du fait qu’il était venu de Bruxelles spécialement pour venir récupérer une ceinture, en me disant que Paris c’était moins loin que NYC ! De là j’ai compris que j’avais mis le doigt dans un business lucratif, et je me suis mis à répondre aux demandes du moment, les fat laces, les gold chains, les Kangols et les tee shirt Run Dmc, Beastly Boys… Je me suis aussi fourni à Londres car les maisons de disques y vendaient les vinyls avec des T-shirt inclus dans les pochettes. Et puis un jour on a commencé à me demander de la basket, j’étais à l’écoute de ma clientèle et je ramenais ce qui se vendait. en à peine 6 mois de temps ma boutique de fripes est devenue une boutique 100% hip hop. Je me disais même à un moment que Ticaret était la boutique des lascars de l’époque. Je faisais également une sélection sur place à NYC si bien qu’il arrivait que ceux qui achetaient chez Ticaret voyaient leur fringues ou leurs baskets dans les clips de rap US du moment, ça voulait tout simplement dire qu’a Paris on était frais et à l’heure !
Quand le rappeur LL Cool G a signé avec la marque Troops, je suis allé les démarcher pour vendre la marque dans ma boutique. J’avais 100.000 francs à mettre sur la table, mais ils n’ont pas cru en moi, il m’ont envoyé balader car ma mise était insuffisante. Mais j’ai continué à ramener d’autres marques de basket à ma boutique, et un an après j’ai relancé Troops avec mon associée. Les marques changeant facilement de stratégies commerciales, nous avons finalement conclu un accord sur une valeur totale de 500.000 francs ! Même mon banquier me prenait pour un fou pour avoir misé sur une marque… J’étais sûr de mon coup, et grâce à ce deal, j’ai été pendant un temps été le monsieur basket à Paris, car c’était simple, la basket était à NYC, chez Ticaret en France et un peu à Londres. En une année, j’ai vendu 1800 paires de pompes rouges, marrons, bleues, vertes… Mais mon investissement sur une seule marque estampillée hip hop a un peu bloqué mon développement. Quand j’ai commencé à faire de la basket les modèles étaient à dominante marron comme les Adidas Tobacco, blanches ou noires comme les Reebok Pump. J’ai vendu les Troops qui étaient bleues, rouges, orange ou vertes, et au même moment les baskets comme Ewing et les Fila qui connaissaient un véritable succès. Les modèles se multipliaient et je n’ai pas pu suivre la demande puisqu’une grosse partie de mon budget était sur la marque Troops. Je faisais 60% de mon chiffre d’affaire avec la basket. A ce moment les Halles ont aussi commencé à se développer, et comme j’allais fréquemment aux Etats Unis, je me rendais compte de l’ampleur que prenait Foot Locker, conscient que tôt ou tard, il allait mettre le pied à Paris et rafler des parts de marché à Sport 2000. Je ne m’étais pas trompé puisqu’ils ont d’ailleurs ouvert leur première boutique à Denfert Rochereau dans le 14ème peu de temps après en 1991. Quand la boutique Foot Locker les halles a ouvert à coté de mon shop, j’ai alors compris que la durée de vie de ma boutique était comptée et j’ai décidé de programmer la fermeture de Ticaret sur quatre ans. Ticaret ouvert en 1986, aura tout simplement été présent pendant 14 ans, et été encore une fois, la première boutique hip hop en Europe. Tout simplement.
Peut-on légitimement dire que tu as été le premier influenceur de Paris ?
Effectivement j ai été tendance et street, mais je m’en suis pas réellement rendu compte à l’époque de la boutique. Mais des années après la fermeture de Ticaret, quand je constate qu’aujourd’hui je suis encore interpelé dans la rue à Paris, ou partout en France c’est très gratifiant. Certes Ticaret n’aura duré que 14 ans, mais avant que toute l’Europe comprenne réellement le mouvement hip hop, j’ai été la seule boutique hip hop pendant 3 ans. Avant même que 4 Star General n’ouvre à Londres. Ce dont je suis fier avec l’aventure Ticaret, c’est que les lascars ont vu en moi un gars de la rue comme eux-même, avec qui ils breakaient, ça leur a donné confiance, leur a montré que l’on pouvait entreprendre et pour certains permis d’ouvrir leur business. Par exemple c’est à partir de Ticaret qu’un mec de Lyon à commencer à faire des colliers zulus et à en vendre ; c’est à Ticaret qu’une nana qui s’appelle Béa aujourd’hui fait des bagues pour des Vip du rap français tel DJ Abdel ,Dee Nasty, Sidney ; c’est encore avec Ticaret qu’on a commencé à faire des tee shirt Graff, et que Dj Cut Killer a commencé à vendre ses Mix Tapes ; et c’est chez Ticaret que le groupe Moda et Dan a débuté en montant un studio d’enregistrement dans le sous sol de la boutique. C’est d’ailleurs là que des rappeurs comme La Cliqua, Booba , Afrodiziak, Expresion Direct, ou Kery James, le 113, Johny Go, Intouchables, et beaucoup d’autres ont fait leurs premiers pas. Tous ont transité à Ticaret, ce dont je suis très fier. J’ai été respecté malgré le fait qu’il y avait des bandes rivales. Je leur ressemblais, mais je savais qu’il fallait toujours rester humble et ne pas faire de favoritisme dans ma clientèle, qu’elle fut du 16ième ou de Pantin. Je n’avais aucun préjugé et m’occupais du gars de Pantin aussi bien, voir mieux que du fils à papa qui avait pourtant plus à dépenser. J’avais vraiment trop souffert de ces mêmes préjugés plus jeune, alors c’était ma ligne de conduite. Chacun était respecté. De plus quand tu venais à la boutique tu n’étais pas obligé d’acheter pour recevoir de la considération, c’est comme ça que je fonctionnais.
Qui était tes clients ? était-ce des passionnés de la première heure ? des sportifs, des artistes ? ou t’adressais-tu à un plus large public ?
De 1986 à 1989 avant que le hip hop ne se démocratique, ma clientèle était composée de passionnés de la culture hip hop. Mais ma clientèle dans son ensemble était à 50% étrangère (40% de Suisses, 40% d’Allemands et 10% d’Italiens), ce qui représentait 50% de mon chiffre d’affaire. Je me rappelle qu’à cette époque j’étais tout seul sur le marché européen avec 4 Star General à Londres, alors que toute la planête était déjà hip hop et que Run Dmc avait signé avec Adidas. Mais cette culture faisait tellement peur aux autres commercants, ils n’y croyaient pas. Mais à force de voir des gens porter des Kangols et des Baskets, ils ont fini par me prendre au sérieux. Je me rappelle que j’allais au salon du sport et que toutes les marques me recevaient comme un Vip. Elles cherchaient alors à décrypter les tendances. Leurs représentants voulaient absolument nous refourguer toutes leurs baskets mais nous ne sélectionnions que celles qui étaient hip hop. Mais en parlant d’artistes, je me rappelle avoir fait venir en séance dédicace Old Dirty Bastard en 1997. C’était un vrai phénomène, le mec qui n’avait peur de rien. Il avait débarqué complètement imbibé en réclamant de faire d’abord rentrer les filles …On en rigole encore…
Et en tant que boutique indépendante as-tu eu de la concurrence ?
Au bout de quelques années, j’ai transféré ma boutique aux halles. Il y avait aussi celle de George Eddy, Magic Basket, qui était proche de mon shop. Il y avait également, pour ceux qui s’en souviennent, Ekivok aux Halles à qui je vendais de la marchandise, car je considérais que je ne devais pas être l’unique vecteur de cette culture hip hop à Paris. En province aussi, les boutiques commençaient à pousser, et souvent la même boutique vendait de la marchandise pour les skateurs, pour les skins et le hip hop. Mais ce sont les Anglais qui ont commencé en premier à inonder le marché européen. Ils avaient déjà intégré bien avant nous que c’était un business bien lucratif… Et par la suite, le hip hop est devenu un business très sérieux. Les Allemands et les Hollandais ont pris la relève : quand les marques américaines voulaient s’installer en Europe elles allaient les voir en premier car ils était souvent beaucoup plus structurés que nous les Français. Les marques (comme SPX par exemple) faisaient des études de marché, et du coup préféraient souvent s’installer dans d’autres pays européens, du fait de la faiblesse de l’offre en France, alors que nous français étions quand même précurseurs : Nous avions par exemple l’émission de Sidney hip-hop qui passait sur TF1, elle fût la première émission hip hop au monde diffusée à la télévision. Quel paradoxe tout de même ! Aujourd’hui nous sommes le deuxième marché hip hop après les Etats Unis, ce qui prouve que les lignes ont bougé et que la culture hip hop s’est émancipée en France et affranchie de toutes sortes de préjugés y compris dans le business.
Ta boutique Ticaret connaissait un succès phénoménal à Paris grâce à ta sélection pointue de fringues et de basket. Y avait-il un revers à cette médaille ?
Il y avait de la place pour tous, malgré le fait que Ticaret était très protégé et que mes fans scrutaient la concurrence et venaient m’en informer. Il arrivait que certaines boutiques se fassent retourner, mais jamais Ticaret… Par contre au cause de tout ce succès, j’ai vite eu un retour de batôn avec la dépouille qui a duré un bon moment. Ça a débuté avec les doudounes Chevignon à Paris et s’est retrouvé aussi à Ticaret avec les baskets dans les années 90. Il fallait assumer les basket qu’on avait aux pieds, quitte à se battre pour les conserver, on parle d’un phénomène qui a plus de 15 ans ! Un jour, le journal France Soir est venu faire un reportage sur l’engouement pour les basket et quelle ne fut pas ma surprise de voir l’article du journal le lendemain « Ticaret, la Mecque des zulus », qui disait en substance que les gamins dépouillaient des gens dans le métro pour se faire des sous et pouvoir aller s’acheter des basket à Ticaret. Les paires déjà à l’époque coutaient cher. Pour exemple je vendais la Pro Performa de Troops 800 francs, soit presque que le prix d’une paire aujourd’hui, 15 ans plus tôt, et les mec se saignaient pour se la payer. Le prix n’était pas abusif non plus, car il fallait que j’ajoute les frais de douanes et ma commission au prix d‘achat US. De toutes manières, déjà à l’époque, le prix des paires étaient une folie allant de 500 FF à 1200 FF.
Quel rôle le hip hop avait-il en France à cette époque ? Pouvait-on parler de culture ou juste était-ce un gros business ? Quel regard portes-tu sur le mouvement ? Penses-tu comme beaucoup que le hip hop « c’était mieux avant » ?
Pour moi le hip hop fut et restera toujours un mouvement culturel fort, même s’il a beaucoup évolué. Ce mouvement a sorti les jeunes banlieusards de leurs quartiers respectifs. Ils se sont approprié les rues, les trottoirs, les villes jusqu’on aux Champs Elysées pour danser, ou au Forum des Halles à Paris. Ce lieu est devenu mythique. Ça a ouvert l’esprit de beaucoup à la ville, ça a permis la mixité et l’échange autour de cet art, et généré de belles rencontres ; ces échanges autour du graff ou de la danse ont permis au hip hop d’évoluer aussi vers la danse contemporaine par exemple. Le rap a lui aussi beaucoup évolué. La culture hip hop a décomplexé beaucoup de jeunes en leur offrant un but dans la vie, de la discipline et la possibilité d’atteindre leurs objectifs. Gamin, je ne pensais pas ressentir un jour toute cette énergie et la confiance que le hip hop m’a apporté . Si j’ai un message à transmettre aux jeunes d’aujourd’hui c’est celui là : « Sky is the limit » … et n’oubliez pas que beaucoup se sont sacrifiés pour que vous soyez là… Et même si tout n’a pas fonctionné, l’important est qu’il y ait a eu beaucoup de tentatives.Le hip hop avec toutes ses disciplines ont ouvert des horizons. Le rap, le tag, le graff, la danse, les DJs, etc… C’était un esprit collectif, un moteur. On voulait être performant dans notre domaine. La compétition était saine, et ne se terminait plus en bagarre comme avant. Si on pouvait gagner un peu d’argent avec, alors c’était un plus et mérité.
Aujourd’hui, le hip hop est le reflet de la société. Je m’explique… les rappeurs parlent business, guns etc… Mais ce n’est pas le hip hop qui créé ça. La fin de la guerre en Serbie dans les années 90, la chute du Mur de Berlin, la dissolution de l’Union Soviétique ont favorisé l’arrivée des armes dans les cités. Les jeunes des cités ont chassé les gros bonnets de l’époque et ont repris le flambeau des business illicites, non sans heurs… c’est ce qui gangrène aujourd’hui le hip hop. Les nouvelles générations arrivent dans un monde où soit tu réussis, soit tu es un naze ! Tu es considéré et respecté si tu as des sous, mais si au contraire tu es intelligent mais sans argent, on ne te considère pas. De 50 Cent à Booba, ils ont tous cette mentalité-là. J’espère que cette jeunesse va finir par se rendre compte qu’il y a des choses plus valorisantes que l’argent, que ce n’est pas une fin en soit et que l’on peut réussir autrement.
Mais à propos du rap je ne suis pas pour autant partisan du « c’était mieux avant ». On a contribué à son essor, et c’est devenu un business comme un autre. Mais je considère le rap un peu comme mon bébé, un fils que l’on a choyé et protégé… Maintenant il a grandit, est devenu majeur et il fait sa vie et ses choix, même si on ne les approuve pas tous. Point barre ! Il en est de même pour le hip hop. On a tout fait pour qu’il s’épanouisse au grand jour. Je déplore juste qu’en France on perde un peu la mentalité « Old school ». En Suisse ou en Allemagne, quand je vais à des parties je retrouve cette ambiance d’antan… Les gars sont encore habillés à l’ancienne, et ça me plait. Pour moi la richesse tient en une phrase : « le matin, tu te réveilles et tu n’es pas dégoûté de cette vie… », c’est ça la richesse… Tu as beau avoir des millions sur ton compte, mais si le matin tu te réveilles angoissé, que tu prends des cachets pour tenir le coup, etc… Ta tune ne te sert à rien. Je pense vraiment que l’argent ne fait pas le bonheur.
Mais revenons sur Ticaret… Après avoir vécu de ce business là, quel enseignement tires-tu de ces 14 années d’activité ?
Pour moi ce fut que des années de bonheur bien sûr, j’ai beaucoup de chance d’avoir été un autodidacte. Je n’ai pas fait d’étude de commerce, à la base, j’étais électricien. Mon grand regret c’est peut-être de ne pas avoir été plus intelligent à l’époque par rapport à certains choix en terme de business. Je serais peut-être devenu plus grand. Mais si c’est pas arrivé, c’est sans doute que je n’ai pas tout fait pour. Ce qui m’a plu à Ticaret ce sont les rencontres, cotoyer des gars comme Joey Starr, Cut Killer, Booba et bien d’autres… On était entre nous, et quand ils ont tous commencé à faire carrière on se voyait moins, ce n’était plus la même ambiance, et j’ai ressenti le besoin de tourner la page. Je donne souvent comme excuse de l’ouverture de Foot Locker, qui finalement n’en n’étais pas vraiment une…
Tout à l’heure tu disais que pour être riche il suffisait d’être heureux, j’imagine que parmi tout ce que tu as entrepris, tu as fais des choses qui t’ont vraiment en mis valeur, la rue t’a apporté sa reconnaissance, est-ce que tu peux me parler de cet aspect des choses ?
A propos de la reconnaissance, je me rappelle par exemple d’un moment partagé avec DJ Chabin, qui a fêté son anniversaire au New Morning en 2013 avec comme invitée l’une des dernières choristes de James Brown. J’y ai revu Sidney de ( HIP HOP ), Grand Jack (fondateur des Black Panther à Paris)… Ils m’ont littéralement enlacé, en me disant « Dan, tu te rends pas compte de ce que tu as fait pour nous, comment tu nous a représentés, comment tu nous a fait kiffer ! ». Encore une fois je m’appelle Dan de Ticaret, le milieu m’a anobli. Pour moi la reconnaissance elle est là…Je me souviens également en 1997 quand Joey Starr m’a fait la surprise de venir à mon anniversaire. J’étais très touché. Tout le monde me remercie notamment pour les avoir encouragés à prendre des initiatives. Franchement sans être prêtre, j’ai réussi ma mission, je me suis rendu heureux, j’ ai rendu mes enfants heureux et fiers, et puis surtout ça en a motivé beaucoup d’autres à entreprendre. La vie peut être très courte, ou très longue ! Il faut croire en soi, redoubler d’énergie et être positif pour ne rien avoir à regretter.
Crédit photos: Babylon / Dan
S.A