Bonjour Cris, présente toi en quelques mots ?
Bonjour je suis Cris Prolific, Français d’origine afro-antillaise et cap verdiènne, producteur musical, remixeur et rappeur. je vis à Bruxelles après avoir longtemps vécu à Paris. j’ai notamment participé et collaboré sur plusieurs productions Hip Hop françaises comme : Dune, Lunatic, X-Men, Rocca, Kery James, Diziz La Peste, Arsenic, Oxmo Puccino. J’ai également travaillé sur des remixes officiels pour quelques pointures du rap américain comme The Roots, RZA, Erikah Badu, et notamment pour Jazzliberatorz pour leur titre avec Mos Def, Pharoahe Monch, ou encore des artistes comme Ayo, ou Césaria Evora. Mais avant tout, j’ai débuté en étant danseur au début des années 80 à Paris.
Parle le nous de ton parcours dans l’industrie du rap ? Avais-tu des prédispositions par rapport à la musique ou t’es-tu nourri de ton quotidien ?
J’ai toujours baigné dans la musique dans mon milieu familial, mes parents écoutaient beaucoup de vinyles, ça allait de la musique afro, cubaine, antillaise, africaine, le spectre était donc large. Je me suis aussi imprégné de d’autres styles musicaux. Mais c’est mon grand frère féru de Hip Hop qui m’a fait découvrir le style musical qui allait changer mon existence à l’age de six ans. En ce qui concerne mes prédispositions, je me suis pas posé de questions, elles sont venues naturellement.
Raconte nous tes débuts, pourquoi as-tu décidé de t’intéresser au Rap à cette époque-là ? Etait-ce ce pour échapper à ton quotidien ou es-tu plutôt de la génération « HIP HOP » ? Quelle influence penses-tu que ce programme ait eu sur l’émergence d’une scene hip hop française dans les années 90 ?
Je suis tombé pile à ce moment-là, j’ai fait partie des défis de l’émission de Sydney HIP HOP que je cotoyais beaucoup à ce moment la par mon grand frère et les PCB (Paris City Breakers) qui sont des amis d’enfance. J’ai eu la chance de participer fois plusieurs à ce programme. Le Hip Hop a toujours fait partie de ma vie, c’était vraiment un des moteurs de ma vie. Je vivais et je dormais Hip Hop, ce n’était pas une façade pour moi, et c’est toujours cette énergie positive qui me fait aller de l’avant.
Tu es un artiste au multi facettes, cela a t-il été facile pour toi de choisir une discipline de prédilection dans le hip hop ?
Je pense qu’au niveau des disciplines j’ai un peu touché à tout même si la danse reste le milieu où j’ai exprimé le plus ce que je ressentais. Et jusqu’à aujourd’hui c’est encore le cas, la musique est venue tout naturellement dans un second temps, je suis passé en quelque sorte du récepteur à l’émetteur. L’émotion naturelle de la danse m’a permis de vouloir procurer ces mêmes émotions en devenant compositeur. Cela nécessite du feeling et beaucoup de synergies, il n’y a pas vraiment de formule toute prête. La composition et la danse sont vraiment les deux disciplines que je me suis appropriées.
Tu as travaillé avec pas mal d’artiste français et internationaux, y a t-il des collaborations qui t’ont marqué plus que d’autres ?
Parmi les collaborations les plus marquantes, je citerais BAATIN / Slum Village et Cappadonna / Wu Tang Clan. Mais celle qui m’aurait le plus touché aurait été avec Jay-Dee, j’ai toujours admiré son travail et collaborer avec lui aurait été une consécration. On s’est rencontré grâce à un ami Dave New York et j’ai plus ou moins aidé à concrétiser sa fameuse date à Paris en novembre 2006 au Nouveau Casino via Hisham qui s’occupait de sa tournée en Europe avec PhatKat, Frank n Dank et Dj Rhetmattic, accompagné de sa mère Ma Dukes. Il voulait vraiment bosser avec moi et connaissait mon premier EP dans lequel son ami Ta’Raach figurait, normalement il aurait du faire partie de mon premier album, je lui avais fait écouter le beat au téléphone et il avait choisi celui sur lequel Black Milk et WildChild ont posé par la suite sur le titre intitulé ( Innovators ). Mais bon, ça ne s’est pas fait sur le moment car il était trop affaibli par la maladie et donc nous avions reporté cette collaboration à son retour aux US, mais la suite on l’a connaît tristement… Je n’oublierais jamais ces courts et précieux moments que j’ai pu partager avec lui. J’ai conservé un vrai feeling de cette rencontre.
En 2010 tu sors ton premier album solo, explique nous pourquoi tu as voulu réaliser cet album ?
Jusqu’alors, à part composer des morceaux pour des artistes, je n’avais jamais eu l’idée de composer un album pour moi, mais peu à peu fatalement je me suis posé la question. Pourquoi ne pas réunir la somme de mes influences et mon parcours des années 80 à aujourd’hui sur un album perso !!! En l’écoutant vous verrez qu’il y a justement pas mal de clins d’œil à mes influences, un morceau comme ( Essence ) refait la rhétorique de ce qu’est le Hip Hop à la base, loin du bling bling de ces dernières années… Ce morceau est un montage documentaire sur la musique et le texte vient en attester. Cet album retrace pour moi toute mon expérience, j’ai associé des amis graffeurs pour le cover de la maquette pour que le rendu soit le plus authentique possible, d’autant plus que le graff est l’une une discipline du Hip Hop. J’ai poussé le vice à donner comme titre à cet album ( Art /Money ) pour souligner le fait que l’art co-existe avec un système de rendement mais à contrario que l’on ne peut pas vivre de l’art avec cette philosophie. L’argent est une necéssité pour exister, mais de nouveau nous n’avons pas réellement besoin de l’art pour exister, c’est ce paradoxe que je voulais mettre en relief. il faut un juste milieu sans pour autant y perdre son âme.
Tu as longtemps habité sur Paris, tu résides maintenant à Bruxelles, pourquoi ce choix de vie sachant que l’adn du rap francophone est parisien ?
Je suis arrivé à Bruxelles par pur hasard, ça tiens plus du parcours de vie, j’avais prévu de partir à New York pour me lancer sur des projets concrets notamment comme la production de titres pour le retour des Jungle Brothers mais il y a eu le 11 septembre et donc ça a été assez compliqué. J’ai dû rester 5 années de plus à Paris qui se sont révélées désastreuses, je me sentais pas du tout en alchimie avec la ville. Pour la création artistique y a pas mieux que Paname, on manque pas d’inspiration mais quand on veut évoluer passer un autre stade supérieur en terme de créativité c’est beaucoup plus dur. Les infrastructures sont là, mais malheureusement ceux qui pourraient insuffler un mouvement de créativité, offrir la possibilité de créer des sociétés pour passer à l’étape supérieure, font en sorte que le système tourne en rond et à leur avantage. Là où Paris excelle c’est dans la création stylistique et ceci grâce aux danseurs et aux graffeurs qui font un travail remarquable, ils ont réussi à galvaniser de bonnes énergies et d’être un pôle pour d’autres pays. Quand il y a par exemple des conférences de danses, la France est toujours bien représentée.
Et ça je ne l’ai presque que jamais trouvé chez les producteurs de rap français, il suffit de citer l’expérience du label de Time Bomb créé en 1995 par Dj Mars et Dj Sek qui aurait du devenir le Def Jam français sans aucun problème, mais ça a été juste mal géré… mais le potentiel était bel et bien présent avec des artistes comme Rocé, Oxmo Puccino, Kerry James, la Rumeur, Lunatic. Le label fut un dénicheur de talents avant-gardiste. Même si la structure continue d’exister, elle n’aura plus jamais l’aura dont elle aurait dû bénéficier. Pour moi ça aurait dû aboutir à quelque chose d’autre, plus qu’un label, se transformer une industrie parallèle à toute les industries musicales et devenir une maison de disque qui aurait crée des festivals dédiés, des ateliers… Il y avait à mon sens toutes les possibilités de réunies… En Belgique là où je vis, j’ai la possibilité de faire les choses, c’est un peu le système anglophone dans le sens où si on remarque que vous avez le potentiel, on va vous laisser faire les choses, en France on préfère vous freiner. J’ai pu réaliser ici des choses que jamais je n’aurais pu faire à Paris en devenant promoteur avec ma fondation Da Bluefunk District par exemple. En France le système reste vérrouillé et controlé.
Comment pourrais- tu définir la culture hip hop ?
C’est un flux qui ne s’arrêtera jamais. C’est un mouvement qui engrange tellement d’émotions et de parcours de vie, le Hip Hop comme je le définis à ma manière c’est lovelution, c’est le moyen de pouvoir créer en étant inspiré sans arrêt avec autant de passion, d’amour mêlés à de l’adversité et à de la patience. Et c’est aussi se donner les moyens de valoriser ce qu’on est capable de faire et pouvoir l’améliorer chaque jour. Moi c’est comme ça que je conçois le Hip Hop en tant que milieu créatif. Qui dit créatif dit évolution, c’est un mouvement précurseur qui se renouvelle sans cesse avec les nouvelles générations, qui est passé de l’effet de mode à une culture solidement ancrée, implantée. En somme c’est l’essence de la création d’une certaine manière. C’est un état d’esprit avant tout…
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Que penses-tu du virage électro que prend le Hip hop de nos jours ?
Je pense que c’est un passage cyclique, quand on revient aux années 70 / 80, l’électro était déjà dans le hip hop par exemple Grandmaster Flash et D.S.T étaient déja très électro, ils arrivaient à mixer leurs sons avec une boite à rythmes, donc pour moi aujourd’hui on arrive à mélanger toutes ces inspirations Soul au niveau de la composition avec les technologies dites modernes qui en faites ne le sont pas. En somme on réactualise le phénomène c’est juste normal.
Es-tu un fan de sneaker ?
Je peux pas dire que je suis un fan de sneaker, comme tout le monde, j’en ai porté depuis très jeune, j’ai toujours accroché au phénomène sans pour autant être un mordu ou un sneaker addict. j’ai toujours pratiqué beaucoup de sport et c’est tout naturellement que je me suis mis à porter des baskets. Si je me rappelle bien mes premières basket étaient des Dorcas et la première marque était sans doute une Adidas Américana. J’ai dû avoir mes premières Nike vers 7/ 8ans. Mes parents étaient très conciliants sur le fait de porter des baskets dans la vie de tout les jours, ils trouvaient ça marrant. Et j’ avais aussi la chance d’avoir mon grand frère aux Etats Unis qui me ramenait des pompes de dingue qui ne sortaient pas en Europe. J’avais une chance incroyable. J’étais à la page comme on dit. A l’âge de 11 ans, je me rappelle avoir eu une paire d’ Avia Transport Hi 1355 de folie que mes amis m’enviaient à l’époque, il fallait avoir le modèle que personne ne possédait pour espérer conserver longtemps une certaine exclusivité…
Le basket et le hip hop sont des univers très fusionnels, comment expliques-tu la genèse de ce phénomène ?
Tout d’abord le basket vient de la rue, ça a été généré par des générations dites urbaines en majorité. Ca a été aussi lié à un phénomène social, ça reste un sport très abordable, il faut pas grand chose pour pratiquer du basket, de l’envie, un bon ballon et un terrain même pourri. Le lien après avec le hip hop, il est idem, il faut pas grand chose pour faire du Hip Hop non plus, de l’envie peu moyens et beaucoup de talent. Que le Hip Hop se soit lié au basket surtout via le spectre américain c’est naturel car tout les basketteurs écoutent du Hip Hop.
Le mot de la fin ?
Pour conclure je vais vous parler de LOVELUTION qui est mon concept. L’idée qui encourage l’amour de la création, c’est cet amour qui nous permet de nous dépasser pas forcement de nous projeter mais d’exister à la manière du cogito de Descartes « je pense, donc je suis ». Quand on a envie de faire quelque chose qu’on aime et qu’on est prêt à le vivre au quotidien, ce n’est jamais une chose aisée, il faut se donner les moyens mais il faut y croire. Lovelution c’est le chemin qui perpétue l’amour de la création et c’est déclinable quelque soit les domaines ou métiers. Aujourd’ hui je reste encore passionné par ce que je fais, et surtout par l’émotion que ça me procure. L’adversité a du bon, quand c’est trop facile les choses se transforment en loisir…
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S.A